Le village était une belle structure, naissant dans le désert comme un obstacle surnaturel sur un fond plat.  Les dunes s'aplatissaient par l'absence de vent, sans doute à cause des murs et bâtiments qui cassaient la ligne, amenant le sable à s'accumuler, comme à se vider ailleurs.

Les mains sous ma cape sombre, je ne ressentais nullement les contraintes du cadre : Mon corps était imperméable aux fortes chaleurs de la zone et une bonne partie avait été tout simplement remplacé par un matériau tout à fait non sensible à ce qui se passait autour. Le désert était l'ennemi naturel du vivant, et j'étais quasiment l'ennemi naturel du désert. "Comme quoi." Sans être vivant, je me plaisais à ce parallèle riche... Non sans savoir, au fond de moi, qu'un ver des sables pouvait faire basculer ma vie à... Autre chose.

Un simple aliment, rien de plus.

J'avais quitté Jujou no Sato il y a quelques semaines, profitant de la réunion des Kage annoncée pour fureter hors des murs, non sans annoncer officiellement que je repartais... Des affaires personnelles, qui l'était bel et bien. J'allais venger la belle Natsuki, brisée par la vie, mais surtout par son père. D'une marche lente, j'avais rejoint le centre de l'Onogoro pour bifurquer dans la zone sèche et aride avant Sakyuu. J'espérais arriver après le départ du chef de là-bas et de quelques hauts gradés pour être plus libre de mes mouvements... Évidemment, ce genre de structure n'était jamais déserté totalement devant l'événement historique, mais je pouvais compter sur une petite baisse de régime. Passant par Mashirosuna no kuni, pour éviter l'axe principal et la délégation du village des sables, j'avais reçu une bien bonne nouvelle... Une mission pour mon Dieu. Je l'avais accompli, avant de revenir à mes affaires personnelles et cette quête que je m'étais fixé seul. J'agissais en homme, effleurant mon individualité dans la mort de quelqu'un, bien plus monstrueux que je ne le serais jamais.
Finir une vie était une chose, mais écorcher celle de sa fille pour la transformer en ce que je voulais... C'était un autre genre de crime. Je ne pouvais pardonner à cet homme ce qu'il avait fait à Natsuki, et il allait le sentir passer. Seulement, dès mon arrivée entre les murs chauds de Sakyuu no Sato, je ne pouvais pas foncer dans le domaine du clan pour en finir... Il me fallait endormir les autorités du village qui, évidemment, devaient avoir à l'œil ce nouvel arrivant venant de Jujou No Sato. Si les villages faisaient partis d'un ensemble impérial, chacun se regardaient en chien de faïence : Jalousie, crainte, hostilité ? Toutes les communes avaient leur point fort, et faibles... Ils pouvaient se compléter, si l'envie leur en prenait. Mais non.

Ainsi, je me dirigeais vers les ateliers des marionnettistes du village : J'étais l'un des leurs, au moins dans la pratique, mais certains secrets restaient irrémédiablement conservés dans le désert et son lieu. J'avais trouvé ma voie, biaisant l'humanité pour obtenir... Autre chose. Ce nouveau corps bougeait bien : Pas de muscle, rien que la froideur et l'indifférence des mécanismes et du bois sacré que j'avais récupéré après moult échanges et tractation. Il n'y avait rien de mieux que l'eden pour cela : mes bras, mon buste et mon dos étaient doté de cette matière limpide pour le chakra et je m'étais amusé à ajouter quelques facéties dans la beauté singulière du beige et du marron marié sous mes vêtements. N'en déplaise à l'existence, j'étais une arme...

Une belle arme.

Si mes aspirations étaient la transgression de l'humanité, je ne cherchais maintenant qu'à aiguiser toutes les aspérités de mon être pour ne devenir qu'une lame prête à plonger dans le cœur de mes ennemis... Un esprit coupant, dans un corps perforant. Pénétrant dans le premier abri du vent et du sable, je découvrais quelques fourneaux utiles pour forger des pièces, grandes ou petites, mais également des établis en libre-service. Loin de la collectivisation, le corps des marionnettistes de Sakyuu savait y faire... Un petit peu comme ceux de Seizan, quand j'étais passé là-bas. Observant les outils disponibles, impassible, je passais à un autre local... Découvrant quelque chose d'intéressant.
Un homme se pressait dans la structure, jouant avec les matériaux et les outils pour former une arme à taille et à trait humain. Clignant des yeux, je regardais sans rien dire cet ensemble de bandelette et de vêtement tourner et retourner les pièces pour confectionner son outil parfait. Si je cachais mon corps à volonté, pour dissimuler mon ancienne marque et aujourd'hui mes implants de bois et d'acier, lui tenait en ignorance sur le contenu de toute sa silhouette. "Étrange." Plus intéressé, maintenant, par l'utilisateur que par son œuvre, je cherchais une faille dans les couches de vêtements... Mais rien ne vint sous mes yeux, un peu rêveur. Il s'étira, bâillant bruyamment, et son visage alla vers... les autres ?

Tellement concentré sur l'un, j'en avais oublié la présence d'autres qui faisaient le même office. Honteux de ce manque d'observation, je m'approchais de l'établi pour mieux analyser l'œuvre, c'était une opportunité pour adresser la parole à l'enturbanné.

- C'est une belle pièce que vous avez là... S'il ne payait pas de mine par sa forme, je devinais sous la couche de bois un réseau de prouesse d'ingénierie. Quel serait son objectif ? Levant le regard, je cherchais les yeux de mon vis-à-vis, en vain. Je m'éloigne de tous mes devoirs, je suis Shinjin. Le nom de mon frère, au cas où, et je ne donnais pas mon nom de famille pour ne pas que l'on puisse remonter à lui, si problème il y avait a Sakyuu No Sato.

"Hisayo."

Notant son prénom dans mon petit calepin mental, je hochais la tête en m'intéressant à la création de mon interlocuteur, surpris en premier temps par mon approche... C'était sans doute peu habituel, dans le village, que d'approcher ainsi les génies créatifs ? Peut-être, mais je n'avais pas l'habitude de côtoyer les artisans qui me ressemblaient... Ceux qui créaient la matière, armaient les poupées dans un sens si perfectionniste et, disons le, cruel.
À ma question sur l'objectif de la marionnette, il hésita avant de me révéler qu'il comptait la donner à un orphelinat. Je levais un sourcil, visiblement surpris de la réponse si... Bienveillante ? "Donner un sens à quelqu'un ?" Observant plus exactement les traits de la chose, je ne pus qu'être bluffé par le réalisme du visage féminin... Ainsi, il voulait donner une mère à un jeune enfant ? Ou bien juste une amie, si le rôle maternel était trop difficile à donner à un morceau de bois et quelques mécanismes. Silencieux, intériorisant la réponse, je ne pus que rétorquer :

- Une belle création qui ravira le cœur de bien des enfants, mais... pourquoi ? Pour un cœur noir comme le mien, le bonheur de quelques marmots n'étaient pas la priorité et l'arme ne devait pas devenir doudou. C'était ma vision.

Toutefois, à la question sur si je faisais, moi aussi, du Kugutsu je ne pus que sourire avant d'avancer ma main pour toucher le front de sa marionnette... Non pas pour la caresser, mais bien pour tisser avec la partie de bois des fils de chakra visible d'aussi proche. Si les mécanismes m'étaient inconnus, je ne voulus que bouger mon index pour provoquer un effet : Si la poupée féminine était bel et bien désarmée, pour devenir le jouet d'un enfant, alors rien de fâcheux n'allait arriver. Décalant donc mon doigt de sa position initiale, je pus observer la bouche de la demoiselle factice s'ouvrir d'un bon centimètre, avant de se fermer sous mon action. Je ne voulais pas plus agir sur la création d'un autre, mais une preuve était souvent plus parlante que toute phrase que je pouvais formuler.
Je n'allais de toute façon pas crâner avec mon corps désormais à moitié armé, autant les bras que le torse, mais si Hisayo avait le regard acéré, il pourrait voir que la main qui avait créé les fils n'était pas ganté... Mais la couleur n'était pas celle de la chair, plutôt d'un bois laqué et sombre. Les doigts, ciselés, frottaient le réalisme sans jamais l'être totalement : Qui savait ce qui se cachait dans mon avant-bras ? Une arme, gorgée de poison, pour les curieux qui pourraient me serrer la main en espérant mieux comprendre la définition de devenir un pantin. Annulant la fine technique, je reprenais :

- Je viens de loin pour observer les techniques de mes confrères, ton artisanat m'a intéressé et je suis venu discuter avec toi. Excuse-moi si je te dérange, toutefois, mon objectif n'est pas de troubler ton moment de création. Un pas en arrière, pour démontrer toute la bienveillance feinte de mon attitude. On m'a vanté les techniques de kugutsu de Sakyuu, mais également quelques mécanismes dont vous avez le secret... Opérant un petit sourire, je regardais ailleurs pour repérer l'œuvre d'autres artistes de la création. J'ai moi aussi une question, quelle est la raison de votre tenue ? Je ne vois aucun autre individu dans la pièce qui arbore les mêmes bandages et autant de tissus sur lui, en intérieur ? Êtes-vous de ces gens qui mécanise leur propre corps ?

Un intérêt particulier pour lui, sur ce point précis : Je connaissais bien peu de marionnettistes, et je voulais savoir si le pas que j'avais fait avait été également franchis par d'autres... Dans ce désert si chaud et si fertile en création, il semblerait.

- Cacher des secrets... J'avais répété sa phrase, comme un mantra. Eh bien... Je ne savais quoi dire, puisque effectivement, c'était la meilleure des raisons, mais un motif si public ne pouvait qu'aiguiser la curiosité des spectateurs.

Sans doute que les autres artisans étaient habitués à cette fantaisie, mais pas moi... Et mon regard scruta encore un instant les bandages et le camouflage de mon interlocuteur. "Qu'importe." Revenant à mes moutons, je ne pouvais pas le forcer à se dénuder pour mon grand plaisir, je changeais de sujet pour aller vers quelque chose qui pouvait le valoriser, et ainsi apporter un peu de positivisme dans notre conversation : Le marionnetisme, et surtout les techniques de Sakyuu no Sato. Le village du désert était connu et reconnu pour sa formation dans le kugutsu. Il ne m'en laissa pas le temps, car il m'interrogea sur mon raisonnement concernant la mécanisation du corps. Je plissais les yeux, visiblement gêné de devoir expliquer un tel processus à un individu venant du berceau de l'art...

- Je ne vois aucune sémantique obscure dans les termes, "mécaniser son corps" exprime l'idée de transformer son corps, le rendre plus mécanique. Où sommes-nous ? Dans un atelier. Je vous demande, gardien du secret, si vous avez échangé votre bras de chair contre un bras en bois, ou en métal, truffé de surprises... Irrité, mais partisans pour expliquer les choses, je ne délivrais pas la vérité par l'exemple. Mes mains se trouvaient dans les manches de ma lourde cape et aucune chaleur ne venait me faire suer, ou bien me rendre inopportun pour cette couche de tissu supplémentaire.

Autour de la marionnette de Hisayo, nous étions deux bombonnes de tissus alors que les autres arborés des vêtements plus légers. Continuant à expliquer la chose pour cet esprit inférieur, capable pourtant de faire de belles créations, je développais :

- Des prothèses, pourvues de mécanismes à activer quand on veut : Des lames, des jets de poison, ... J'imagine que pour des usages quotidiens, on peut y amener une fourchette ou une brosse à dent. Certains vont même jusqu'à changer tout leur organisme pour ne devenir que bois... Enfin... Il faut conserver certaines choses, le cœur par exemple, car sans lui, on ne peut plus rien faire. Cherchant une réaction sur le visage du sakyuujin, je ne croisais que le tissu de ses bandages. Vous... Comprenez ?

Sous mes yeux, la personne récupéra une gourde pour glisser la paille sous son masque et aspirer le liquide : De l'eau ? La chaleur frappait durablement, même dans un enclos protégé, ou bien était-ce autre chose ? Je l'ignorais, mais en tout cas, il finit sa gorgée pour ensuite me répondre.

Il était un constructeur, un esprit savant de Sakyuu, mais ses créations n'étaient pas pour le combat... Alors pour quoi ? Si celle qu'il m'avait présentée avait pour ambition de donner du sens à un orphelin, au sein d'un établissement spécialisé, je ne comprenais pas l'utilité d'en avoir plusieurs comme ceci. Il n'était pas soldat ? "Sans doute pas." Mon œuvre avait toujours été tournée vers le service à mon frère, ou à mon village, mais jamais pour autre chose. Le plaisir de créer juste pour créer ? Très peu pour moi, tout avait un but, une utilité, une finalité que je pouvais facilement discerner dans mes plans. Quelque chose de juste beau n'était pas "utile", donc j'ignorais cette dynamique esthétique follement humaine et donc ridicule. Plissant les yeux à cette mention, je fus encore plus surpris d'apprendre qu'il n'avait jamais entendu parler de la mécanisation des corps. "Il dit s'y connaitre, mais j'en doute."
Les yeux louvoyants sur les camarades qui s'affairaient sur leurs propres créations : Eux, sans doute, pourraient m'en apprendre plus. J'avais affaire à un singulier personnage, autant par son apparence que par sa connaissance ou son "art" dépourvue de militarisation. Ce n'était pas une mauvaise chose en soi, chacun avait son domaine, mais pour moi ce n'était pas "utile". Toujours. Je daignais toutefois répondre à sa question sur mon propre pas vers l'innovation :

- Moi ? Mécanisé ? Non, absolument pas. Le visage froid, je ne voulais pas donner des informations sur mes propres compétences. J'ai toutefois eu vent de certains confrères qui passaient le pas, je pensais en savoir plus à Sakyuu... Mais j'ai sans doute sonné à la mauvaise porte. Il y a des secrets qui sont bien cachés, apparemment. Le regard indifférent, je regardais de nouveaux les vêtements excentriques de mon interlocuteur. Dommage.

Tournant les talons, je présentais mon dos à Hisayo. Pour lui, j'allais rester à jamais Shinji... Mais quelque chose me disait que le village allait encore entendre parler de moi, vu la destination où je me dirigeais.

- Je vous laisse à vos affaires, camarade ingénieur. Un pas, puis l'autre, je quittais l'atelier en aillant fait choux blanc... Ce n'était pas ici que j'allais en apprendre plus, peut-être dans un autre site de création ? Ou auprès de plus grands artistes du kugutsu ? La cité des sables était pudique en termes de secret... "Dois-je arracher toutes ces connaissances ?"

L'idée était séduisante : Sur le chemin, j'avais tué pour mon Dieu, je pouvais continuer... Je comptais le faire, de toute façon, pour servir ma vengeance personnelle, alors pourquoi pas chercher un savant pour le torturer et lui tirer les informations précieuses de l'art des marionnettes ?

"Nous verrons bien."